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Fernand Bloch-Ladurie présenté par son éditeur

Le jeudi 28 juin, le Labo de l’édition a accueilli la soirée de lancement de la biographie de Georges-Guy Lamotte, écrite par Fernand Bloch-Ladurie. Son éditeur a prononcé un discours à cette occasion.

[David Meulemans, fondateur des Editions Aux forges de Vulcain, ayant appris que Fernand Bloch-Ladurie était dans un avion qui le ramenait de la Syrie, où il avait été en mission, prend la parole et improvise un discours qui doit faire patienter l’assistance jusqu’à l’arrivée de l’auteur. Les lignes qui suivent sont la transcription exacte réalisée par l’assistant de l’éditeur et dûment apostillée par le TGI de Paris, afin de pouvoir faire valoir, à qui de droit, la stricte authenticité de ce discours.]

Mesdames et Messieurs,

Je vous remercie d’être venus si nombreux participer à cet événement. Nous fêtons la publication d’un livre. Et nous célébrons la mémoire d’un homme, Géorges-Guy Lamotte. Un militant. Un activiste. Un penseur. Il nous manque. Mais aujourd’hui, grâce à vous, et grâce à Fernand Bloch-Ladurie, son souvenir est vivant.

Je veux rendre hommage à ceux qui ont rendu possible cette renaissance. Et notamment le Labo de l’édition, qui nous accueille ce soir.

(on lui passe un message. Il le lit et reprend)

Au cours des discours qui vont suivre, vous allez entendre des petits bruits, au fond de la salle. ce sera un buffet qu’on installe. Notez qu’il ne nous est pas destiné. Dans le cadre d’un partenariat public-privé, cette salle a été louée à trois cars de touristes allemands, qui en prendront possession après nous, pour regarder Allemagne-Italie.

Mais, si vous êtes privés de nourritures terrestres, mes amis, vous ne serez pas privés de nourritures spirituelles, puisque vous pourrez acheter à Madame Céline, que vous voyez au fond de la salle, des exemplaires de “Georges-Guy Lamotte, le dernier des socialistes”, le dernier ouvrage de Monsieur Fernand Bloch-Ladurie, ouvrage qui nous réunit ce soir. Quatorze euros quatre-vingt dix. prévoyez la monnaie : nous ne prenons pas la carte bleue.

Où en étais-je ? (il baffouille) Oui. Merci. Merci au Labo de l’édtion. Merci à vous. Merci aussi à nos amis de la presse, qui ont fait le déplacement. Toute la presse influente est là. (il montre du doigt un monsieur au premier rang). Le Monde ! (il montre une dame). Libération. (il montre un jeune homme avec un foulard bleu) Le Figaro ! (Il montre un monsieur au dernier rang) Le Quotidien du Limousin.

(rires dans l’assistance)

Vous riez ? Vous riez car je n’ai pu m’empêcher de glisser un intrus dans cette liste. Le Monde. Car, si le Monde était un journal influent, Dominique Strauss-Kahn serait président.

Amis de la presse : merci ! Merci de participer à ce retour de Georges-Guy Lamotte dans la mémoire collective. Vous, journalistes, connaissez déjà bien les Editions Aux forges de Vulcain et leur patient travail de vérité. Mais nombreux, dans l’assistance, ne connaissent pas les forges.

Accordez-moi quelques minutes pour vous parler des forges, à vous qui les découvrez.

Les Editions Aux forges de Vulcain sont une petite maison. Une maison naine ! Mais une naine assise sur les épaules d’un géant : Christian Bourgois, qui demeure pour nous un modèle. Comme Georges-Guy Lamotte.

Christian Bourgois a dit : “Etre éditeur consiste à publier des livres que les gens n’ont pas envie de lire”. Cette définition, pour valable qu’elle ait pu être il y a trente ans, nous paraît désuète aujourd’hui. Nous, aux forges, nous allons plus loin. Etre éditeur consiste à publier les livres que les auteurs n’ont pas envie d’écrire. Que les éditeurs n’ont pas envie de vendre. Car ils ne les ont pas lus.

D’ailleurs, faut-il avoir lu un livre pour en parler ? Pour le publier ? Tout ce temps que les gens perdent à lire les mots des autres, alors qu’ils auraient pu l’employer à se faire entendre !

(gêne palpable dans l’assistance)

Prenez “L’édition sans éditeur” de Schiffrin. Je ne l’ai pas lu. Mais j’en devine le sens. Rien qu’au titre, j’en devine le sens. On peut faire de l’édition sans éditeur. On le doit. Mais je dirai même plus : faisons de l’édition sans auteur ! Faisons de l’édition sans lecteur !

Car de quoi l’édition a-t-elle vraiment besoin ? Qu’on lise ses livres ? Ou qu’on les lui achète ?

Je devine les sens des livres et j’en parle. Est-il nécessaire de les lire ? Est-ce qu’Antoine Gallimard lit tous les livres qu’il publie ? Non. Lui en tient-on rigueur ? Non.

Bien sûr, le chemin est pavé d’embûches. Combien y a-t-il de frères Karamazov ? Combien de filles du docteur March ? De mousquetaires ?

(silence de l’assemblée, soudain attentive)

Mais, à toutes ces questions : une réponse ; Wikipedia.

C’est d’ailleurs sur Wikipedia que mes assistants ont trouvé une citation pour illustrer ma doctrine. Une citation d’Amadou Hampaté Bà : “En Afrique, un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui meurt.”

Belle phrase. Mais sait-on combien y a-t-il de bibliothèques en Afrique ? Combien il y a de vieillards en Afrique ?

(silence de l’assemblée, qui redouble d’attention)

Alors qu’en Europe, nous n’avons que cela : des bibliothèques partout, des vieillards partout. Demandons-nous donc si la réciproque de la citation d’Amadou Hampaté Bà n’est pas vraie ! Car, en Europe, une bibliothèque qui brûle, c’est un vieux radin qui meurt et un vieux client qui renaît ! S’il ne peut plus emprunter ses livres, le vieillard, il sort de chez lui et il est bien obligé d’aller les acheter dans une librairie.

(approbation bruyante de l’assemblée)

C’est cela qu’il nous faut, oui ! Plus de clients, moins de lecteurs !

(cris de liesse dans la foule. L’orateur est visiblement ému. Il détourne les yeux de son discours et les plonge dans le coeur de l’assemblée.)

Merci mes amis, merci ! Devant votre générosité, votre enthousiasme, je ne peux pas continuer à lire ce discours convenu, préparé pour l’occasion par mes assistants (il fait une boule de son discours, la jette rageusement dans la foule). Je veux vous parler avec coeur, avec simplicité, vous dire ma vérité d’homme, ce qui vient du fond de mon coeur, et n’est pas filtré par les beaux mots des lettrés.

(il sort un discours de sa poche, l’assemblée lit, au verso du papier : “discours n°2 : émotion »)

Ce livre de Monsieur Fernand Bloch-Ladurie, c’est un rêve d’enfant qui s’exauce.

(il renifle)

A l’école communale modeste où j’ai appris à lire, une modeste école de quartier, avenue Victor Hugo, à Paris, mes maîtres ont vite repéré en moi le futur éditeur. J’avais pour habitude de copier sur mes voisins, voire, parfois, de rayer leurs noms de leurs copies pour y apposer le mien, en imitant leur écriture. Certaines âmes mesquines y verraient je ne sais quel défaut moral. Mais mes maîtres y virent les premières armes d’un futur éditeur. Je découvris alors que l’on pouvait jouir du prestige des lettres – sans jamais écrire une seule ligne. Sans jamais noircir une seule feuille de papier. Ma décision était prise : je serai éditeur.

Je passais de l’autre côté de la Seine et, quelques années plus tard, je reçus d’amis communs, le manuscrit de Monsieur Fernand Bloch-Ladurie. J’étais alors à l’affût d’un coup. J’hésitais entre un livre sur la vie sexuelle de Margaret Thatcher et les mémoires de François Bayrou. Quand je reçus Georges-Guy Lamotte, le dernier des socialistes.

Georges-Guy Lamotte, c’était pour moi un lointain souvenir de lycée, une des ces figures un peu sulfureuses que l’on croise dans les manuels de terminale : présent dans tous les chapitres, pas une seule page ne lui était explicitement consacrée. Je me disais, les gens se souviennent-ils de Georges-Guy Lamotte ?

Je m’ouvrais de mes hésitations à une amie journaliste, tandis que nous déjeunions aux Deux-magots. Je lui expliquais que je songeais à publier un livre sur un élu socialiste. Elle me demanda lequel. Je lui dis : Georges-Guy Lamotte. Mais, alors que je m’apprêtais à lui rappeler qui était Georges-Guy Lamotte, elle me mit une doigt sur les lèvres, m’arrêta, pour me souffler : « non, ne me dis pas, je sais très bien qui est Georges-Guy Lamotte, je connais les noms de tous les élus socialistes, je n’ai pas fait sciences-po pour rien ».

J’en restais coi. Il restait donc des hommes et des femmes qui entretenaient la flamme du souvenir ? Au point qu’on enseignât, à sciences-po, la vie de Georges-Guy Lamotte ? Tout n’était pas perdu !

(bravos dans l’assistance)

D’ailleurs, chers amis, je vous indique que tous les journalistes et anciens de sciences-po à qui j’ai parlé de ce livre m’ont dit que, oui, ils voyaient qui était Georges-Guy Lamotte, à peu près, qu’ils ne pourraient m’en parler longuement, bien sûr, mais qu’ils connaissaient ce nom, et voyaient, à peu près, qui il était.

(on lui glisse un papier. Il le lit et reprend)

On m’indique que les trois cars de touristes allemands qui devaient, après nous, prendre possession des lieux pour regarder Allemagne-Italie, sont morts dans un terrible carambolage, sur la place d’Iéna. L’ambassade d’Allemagne nous fait savoir que nous sommes autorisés à consommer le buffet prévu à l’attention des défunts, pourvu que notre dégustation soit pleine de retenue et de respect pour les morts.

(silence)

Cette biographie était donc nécessaire, pour nourrir ce souvenir. Je remercie donc le professeur Bloch-Ladurie de l’avoir écrite. Et je lui donne la parole, sous vos applaudissements.

(applaudissements de la salle. Les lumières s’éteignent. Un rond de lumière se promène sur le plateau, à la recherche de Fernand Bloch-Ladurie. Le reste appartient à l’Histoire).

Pour en savoir plus sur le livre de Fernand Bloch-Ladurie, nous vous invitons à suivre ce lien.