Inscrivez-vous à notre newsletter
Aux forges de Vulcain > Actualités > Actualités > Découvrir Jean-Charles Hue

Découvrir Jean-Charles Hue

Hugues Girard, qui connaissait le travail cinématographique de Jean-Charles Hue, nous confie ses impressions après la lecture de « Y’a pas de prévenance! ».

[Les Editions Aux forges de Vulcain ont publié Y’a pas de prévenance ! de Jean-Charles Hue. Cet ouvrage portant la trace des travaux cinématographiques de cet artiste, nous avons prié un connaisseur du travail cinématographique de Jean-Charles Hue de nous confier ses impressions de lecture.]

(Illustration : photogramme tiré d’un Ange (vidéo, 2005), repris à la page 16 de Y’a pas de prévenance !]

Après une carrière de styliste dans le prêt-à-porter et la réalisation d’un film de tendance pour un grand nom de la mode, Jean-Charles Hue entre aux Beaux-Arts de Cergy-Pontoise dont il sort diplômé en 2000.

Vidéaste et plasticien, il élabore son œuvre dans ses voyages à la recherche de « la frange limite » du « tourbillon né de la rencontre de deux courants contraires. » Après l’Inde et le Mexique, c’est en France que Jean-Charles travaille : depuis quinze ans, il voyage avec les gitans yéniches.

Trouver une autre voie

En 2010, son second long métrage, La BM du seigneur, peint, entre fiction et documentaire, la tentative de métamorphose de Frédéric, son ami gitan, qui après une rencontre avec un envoyé de Dieu, cherche à quitter sa vie de voleur pour trouver une autre voie. Entre rédemption et pulsion autodestructrice, salut de l’âme et impossible libération, le film se structure sur la mise en tension de forces antagonistes.

Y’ a pas de prévenance !, publié aux Éditions Aux forges de Vulcain, rassemble des écrits de Jean-Charles Hue, « ses mots qu’il a jetés quelque part pour essayer de se réveiller un peu ». Articulé en courts chapitres bilingues français/anglais [la traduction a été réalisée, à la demande de l’éditeur, par Noura Wedell], cet ouvrage propose un parcours à travers son univers artistique en mettant en dialogue ses textes avec des images tirées de ses films, de ses vidéos et de ses séries photographiques.

Comme le reste de son oeuvre, Y’a pas de prévenance ! construit et poursuit la rencontre de forces contraires. L’écart déjà travaillé entre l’immoralité délinquante, alcoolique, brutale, des gens du voyage et leur grande religiosité est ici à nouveau exploré. Ainsi, les virées de « chourave » baignées de sang et d’alcool n’empêchent pas, le soir venu, de tous se réunir pour prier sous la tente des pasteurs évangélistes, voir leurs exorcismes, et écouter les miracles.

Violence et poésie

De même, la violence la plus crue cohabite ici avec une poésie des plus inattendues. Entre le monde gitan picard et le Mexique de Tijuana, Jean-Charles Hue nous fait vivre des situations limites : un dîner entre voisins de campement qui termine en fusillade, l’émasculation d’un taureau, le spectacle d’un homme qui « marave sa femme » parce qu’il a « eut le malheur de répéter deux fois ». Autant d’instants de fureur, dans une œuvre pourtant cousue avec le fil d’une poésie de tôles froissées empreinte de mysticisme : « L’envoyé de Dieu, celui qui d’un bruissement d’ailes soulèvera les tonnes de ferrailles qui taillent tes chairs bleuies…. »

Cette rencontre de courants contraires s’inscrit jusque dans la langue de Jean-Charles Hue. Les écrits de ce « gadjo », ce « cul-blanc », comme le nomment ses amis gitans, emprunte beaucoup à la langue yéniche et à ses figures : « la chnek » (la chance, le sexe féminin), les « schmids » (les flics), le « chpouk » (le diable, le vilain). Parlé par les gens du voyage dès le Moyen Âge, ce dialecte use de sonorités proches de l’ancien français tout en empruntant aujourd’hui un vocable moderne de banlieue. Et c’est ce qui intéresse l’artiste : la dualité de cette langue, ancienne et moderne, intemporelle et toujours en devenir.

Réconcilier les extrêmes

Mais Y’a pas de prévenance ! organise moins un télescopage de forces opposée qu’une réconciliation entre elles. Ce qui ne prévient pas de manière obligeante c’est d’abord la mort, mais c’est aussi la révélation, l’apparition éphémère de ce qui « se trouve en dessous, cachée dans le réel ». Ainsi, il faut frôler la mort, qu’elle puisse venir sans prévenance, puis en réchapper, être un miraculé pour avoir la chance de saisir un instant ce qui nous est voilé habituellement. Il y a davantage que le plaisir de la vitesse dans la conduite sportive de ces gitans, il y a la une recherche métaphysique. « A 200 ça fait peur parce qu’on se dit qu’on peut encore y faire quelque chose, arrêter la machine. Et puis à 200, un accident, c’est douloureux, ça y met du sang, des os brisés, ça hurle, ça fait très mal et même tu succombes. A 300, c’est plus un accident, c’est une destinée. Tu deviens silencieux et fragile et puis tu te volatilises. Ca veut dire qu’on vole et puis on disparaît. »

Le projet de Y’a pas de prévenance ! est de réconcilier les extrêmes, de faire sentir que les contraires se trouvent en calque compris les uns dans les autres, et même d’instaurer une dialectique entre eux. Lors d’une virée alcoolisée dans une BM 735 gris anthracite, une pause pipi communément prise depuis la voiture pour redémarrer plus vite si la police venait à montrer le bout de son nez offre pour un court instant à l’artiste la sensation de vivre un moment de recueillement. « J’écoute Pierrot dont je vois la tête au travers de la vitre de la portière. Pour moi, c’est comme si j’étais au confessionnal, sauf que la je regarde mes pieds pour éviter les rigoles de pisse qui s’écoulent dans ma direction. » Pour Jean-Charles Hue, c’est par le grégaire, par la violence et la putréfaction que l’on peut atteindre l’épiphanie, la pureté et le sacré.

C’est lors de la même virée sordide en voiture où le groupe part défier des jeunes de banlieue dans leur cité que l’artiste a la juste prémonition d’une « attaque bien belligérante, bien antique » lorsqu’il aperçoit « les deux rangées de voitures prêtent à se refermer sur eux comme deux vagues gigantesque sur l’armée de Pharaon. »

C’est cette jonction « entre le cosmos et le vécu qu’aujourd’hui nous séparons, alors que les mythologies les réunissaient dans une même histoire, le mythe » qui est au cœur de la quête de Jean-Charles Hue. « La possibilité de vivre un réel en harmonie avec son pendant mystérieux » même pendant un court instant, même au péril de sa vie, qui est l’expérience » de Y’a pas de prévenance !

Un article de Hugues Girard