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Entretien avec Michèle Astrud (1/2)

Michèle Astrud, l’auteure du Jour de l’effondrement, a eu la gentillesse de répondre à quelques questions à propos de son dernier roman, qui paraîtra le 28 août 2014.

 

Entretien avec Michèle Astrud – première partie (juillet 2014)

 

Viviane du Guiny, éditrice : Comment est né Le Jour de l’effondrement ? Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce texte ?

Michèle Astrud : Depuis plusieurs années, j’effectue une plongée dans mes souvenirs d’enfance et d’adolescence. J’essaye de retrouver les moments clés, les points de basculement. Ici, c’est cette topographie particulière, la périphérie d’une petite ville sans véritable intérêt avec le fleuve, les tours, la piscine, un petit centre commercial, une cafétéria, qui m’a inspirée. Un monde clos et protecteur qui semble laisser peu d’espace de liberté mais pourtant complètement ouvert sur l’extérieur. Le fleuve, l’autoroute, les tours qui s’élèvent vers le ciel, symbolisent ce désir de fuite. À la fin de l’adolescence, il faudra bientôt quitter la ville natale pour faire des études, décrocher un premier travail qu’il serait difficile voire impossible de trouver ici, construire sa vie ailleurs. Et laisser derrière soi ses amis, ses souvenirs d’enfance. Je voulais décrire et faire ressentir ce sentiment de perte, ce départ sans retour qui marque définitivement l’entrée dans l’âge adulte.

 

V.G. – Comment décririez-vous Le Jour de l’effondrement ?

M.A. – Le Jour de l’effondrement se situe sur ce point de transition entre l’adolescence et l’âge adulte. Pour « entrer dans la carrière » le héros devra quitter sa ville natale, abandonner une part d’innocence et de naïveté. Il sait qu’il ne reviendra plus, que tout sera différent. Le sacrifice de son meilleur ami symbolise la violence du renoncement.

 

V.G. – Pour moi, Le Jour de l’effondrement est vénéneux et fervent : vénéneux, parce que la relation entre les deux héros est tourmentée, et parce que le fleuve, tantôt d’émeraude, tantôt troublé, reflète les passions ; fervent, parce que votre écriture est intense et poétique. Qu’en pensez-vous ?

M.A. – J’aime beaucoup ces deux termes : vénéneux et fervent ; je suis ravie qu’on puisse ainsi définir ce texte. La ferveur est effectivement partout présente dans le livre. Elle l’est dans le souvenir quasi religieux que le héros entretient envers son ami. Les deux tours sont des mausolées d’où s’élèvent ses méditations. On peut assimiler son campement et le dénuement dans lequel il vit à celui d’un moine pénitent, le fleuve est bien sûr le lieu sacré de leur amitié où il vient chercher sa rédemption.

Pour le terme vénéneux, je suis allée rechercher la définition dans le dictionnaire. Au sens littéraire, il signifie : qui est empreint de méchanceté. Au sens plus général : se dit d’une substance qui contient un poison.

C’est bien le cas du héros, étouffé par la violence et la révolte. Cette méchanceté qu’il ne comprend pas secrète un poison dont il est la première victime et qui se diffuse dans son entourage, auprès des personnes qu’il chérit pourtant le plus, et sera la cause de leur malheur.

 

V.G. – Certains lecteurs ont trouvé que Le Jour de l’effondrement était un livre « coup de poing », « dur », « qui ne laisse pas de répit au lecteur ». Il est certain que le livre prend au cœur, mais je trouve que la fin apporte un véritable apaisement : que pensez-vous de ce ressenti ?

M.A. – Ce livre représente l’aboutissement d’un long périple dans mes souvenirs d’enfance et d’adolescence. Ce n’est pas un récit, mais un roman. L’imagination et le réel se mélangent. Dès le début, il fallait frapper fort pour donner corps à ce malaise, à cette révolte adolescente. Ce meurtre inaugural isole le héros, il le rend intéressant du point de vue narratif, mais aussi antipathique et dangereux. Et pourtant, je veux lui donner une chance. Je souhaite que le lecteur s’intéresse à mon personnage pour de bonnes raisons. Pas parce qu’il est plus beau, plus intelligent, plus sympatrique que les autres. Au contraire, c’est un jeune homme complexe et tourmenté. Jaloux et violent. Je veux que les lecteurs le comprennent. Pas qu’ils l’aiment, qu’ils l’admirent ou qu’ils l’excusent mais qu’ils s’identifient à lui. Qu’ils comprennent ce garçon solitaire et meurtrier de son meilleur ami. Qu’ils l’accompagnent dans sa rédemption, qu’ils lui tiennent la main en quelque sorte. La tâche était difficile et je pense que c’est pour cette raison que l’apaisement final est d’autant plus profond.

 

V.G. – Vous êtes professeure de génie civil : cela vous a-t-il influencé lors de l’écriture du Jour de l’effondrement ? Les deux tours occupent une place importante dans le roman.

M.A. – Il est difficile de répondre à cette question. L’habitat, l’architecture, l’urbanisme, les liens entre la nature et les constructions, sont des thèmes qui m’ont toujours intéressée et c’est pour cette raison que j’ai choisi d’en faire mon métier. Les tours ont une place très importante dans le roman car elles sont omniprésentes dans le paysage fluvial qui m’a servi de modèle et qui est à l’origine de ces souvenirs. On voit les tours depuis le fleuve, on domine le fleuve du haut des tours, ces deux éléments se répondent et se glorifient. Les tours donnent au fleuve un caractère urbain, Ce n’est pas un fleuve champêtre et bucolique qui serpente à travers les prairies. Elles le rendent sauvage et menaçant. Quant au fleuve, il apporte aux deux tours son mystère et son caractère changeant.

 

Retrouvez la page consacrée au Jour de l’effondrement, ainsi que celle consacrée à Michèle Astrud.