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Louise Caron parle de son roman

Une bibliothécaire interroge Louise Caron, auteure du roman Chronique des jours de cendre

Louise Caron, auteure de Chronique des jours de cendre, répond aux questions d’Alex, bibliothécaire à la médiathèque de Saint-Christol les Alès

Alex : Comment t’est venue l’idée d’écrire un roman comme Chronique des jours de cendres ?

Louise : L’idée du roman ne s’est pas imposée d’emblée. Elle résulte de la lente transformation d’une œuvre écrite pour la scène, un puzzle tragique intitulé « Comme un parfum d’épices dans les odeurs de menthe » . En vérité, l’idée de développer l’argument de façon narrative, afin de pouvoir approfondir les personnages et les situations, émane du jury qui a sélectionné la pièce en tant que lauréat du Prix d’Écriture théâtrale NIACA 2012.

 

A : Revenons à l’origine, qu’elles ont été les sources d’inspiration de la pièce et par la suite du roman ?

L : J’ai été révoltée par le déclenchement du conflit Etats-Unis/Irak, au nom des valeurs de justice et de liberté, en représailles des attentats du 11 septembre. Une sorte de loi du Talion travestie sous les prétextes d’élimination conjointe d’armes de destruction massive et du dictateur Saddam Hussein.
J’ai assisté comme tout le monde au spectacle désolant de la dévastation des vestiges de la culture mésopotamienne, aux pillages, aux incendies de bibliothèques et de musées.
J’ai conservé en moi ces images comme une sorte d’épine dans le pied.
Deux choses m’ont vraiment incité à débuter l’écriture :
– En premier, une série de photos de Farah Nosh intitulées Wounded-Iraq. Des clichés en noir et blanc, qui montraient sans complaisance des civils blessés, mutilés.
– Ensuite, la lecture du Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats de Coco Fusco, un ouvrage extrêmement dérangeant. Il bouscule l’image qu’on a des femmes, présentées en général plutôt en tant que victimes de violences à caractère sexuel que comme agresseurs. Or, ce livre nous met face à une réalité, qui est l’utilisation par l’armée américaine de femmes et de leurs appas sexuels comme arme de violence — de torture — vis-à-vis d’hommes en situation de sujétion, en particulier des détenus politiques Irakiens. Cette double image de victime et de bourreau m’a amenée à réfléchir sur la place de la femme, de la mère, dans la reproduction des schémas établis et de leurs rôles dans les conflits. Cette idée a gouvernée l’écriture de la pièce puis du roman.

 

A : Quelle différence y a-t-il entre écrire une pièce et un roman ?

L : La différence est énorme. Dans une pièce de théâtre les lieux sont évoqués dans les didascalies et la mise en scène campe les situations, l’imagination des spectateurs fait le reste. Dans l’écriture dramaturgique, tout passe par le langage, les sentiments des personnages et leurs actions scéniques.  Le roman exige, lui, de décrire les situations au lecteur. L’action est sous-jacente aux dialogues mais en dehors de l’auteur, nul metteur en scène ne sera là pour la dramatiser. On ne peut donc pas faire l’économie de ce travail description des sensations primaires, des sentiments, des répercussions des choix des personnages. En revanche, j’ai fait l’impasse la plupart du temps sur les descriptions physiques, sauf lorsqu’elles étaient nécessaire à la compréhension de l’histoire. L’écriture un roman dont la toile de fond est véridique et historique, nécessite en amont un travail de fouilles. Ne pas écrire n’importe quoi au nom du romanesque. Je me suis engagée d’abord dans une étape de compréhension des situations politiques et des parties en présence. Un long travail de documentation. Je ne pouvais pas me contenter d’indiquer : 2007, Bagdad occupée.  J’ai lu des ouvrages sur la Mésopotamie, l’Irak, les minorités opprimées. J’ai découvert la naissance de l’Irak moderne sous la férule des anglais, puis la révolution et la dictature. J’ai écouté les discours de G. Bush et lu des blogs d’opposants à la guerre. Je m’interroge depuis longtemps, comme Chomsky, sur la part de mensonge contenue dans le discours politique. Et là j’ai été servie.

Mais, plus que tout, ce qui m’intéressait dans la situation en Irak, au delà du conflit lui-même, c’était sa répercussion sur la vie des gens ordinaires. Il y avait matière à entrecroiser les trajectoires, entre les occupants et les occupés. Ceci supposait de donner la parole aux deux parties en présence. Et, pour donner la parole, quoi de plus logique que de repartir de la pièce de théâtre. La boucle pouvait se boucler et l’écriture commencer.

J’ai eu encore quelques hésitations avant de me mettre à écrire. En particulier, parce que je ne trouvais aucun angle d’attaque qui soit satisfaisant. La question à laquelle je me heurtais était : Qui légitimement porterait l’histoire ? Je ne voulais pas d’un roman manichéen. Il m’importait de donner au lecteur une situation brute, sans prise de position de la part du narrateur. Celui-ci devait pouvoir endosser aussi bien l’uniforme américain que le costume Irakien. Mettre face à face et dos à dos les deux parties. Et puis, il me fallait trouver comment ne pas réduire ce roman à une aventure guerrière, car cela va bien au-delà.

Par hasard à ce moment-là, j’ai lu le roman d’Amélie Nothomb Une forme de vie, qui met en scène un GI lui écrivant des lettres d’Irak. Et comme un signe, quelques jours plus tard, je suis tombée sur la reproduction d’une huile sur bois que j’avais admirée à la Pinacothèque de Munich lorsque j’étais adolescente. Un de ces tableaux qu’on n’oublie jamais. Il s’agit de la Bataille d’Alexandre du miniaturiste Albrecht Altdorfer. Il a représenté au lointain la Palestine, le Sinaï, la mer Rouge et le delta du Nil. Un ciel annonciateur de tragédies s’étend sur une multitude de personnages qui forment la masse d’une armée en marche. Pourtant dans cet amas de soldats, chaque sujet est bien visible. On découvre là, une tête ; là, un casque ; un corps se laisse deviner, dérobé, absorbé par des milliers de corps. Chaque personnage miniature est une entité singulière, prisonnière de la foule compacte, simul et singulis.

C’est à ce moment-là, que tout s’est mis en place.

J’avais devant les yeux la représentation de ce que je voulais écrire. L’histoire, dans ce Moyen-Orient de tous les dangers, de personnages minuscules, de gens de peu. Chaque personnage dans le roman comme sur la toile est seul avec son passé. On devine que ce quidam a une famille, une intimité, un destin, et il est là tout petit, au milieu d’un GRAND TOUT —l’Histoire Majuscule — qui le dépasse, le détermine et dont on pressent qu’il va le broyer. L’évidence de la narration est née de cela. En vérité, j’ai toujours pensé que l’écriture, la peinture, la sculpture ou la musique ont des points communs. Les arts témoignent — chacun avec sa technique propre — du monde tel qu’il est, tel qu’il a été, ou tel qu’il sera.

Les matériaux étaient là: les Etats-Unis et l’Irak, deux pays qui s’affrontaient. Mais derrière ces pays, il y avait des hommes, des femmes que l’on néglige.

Eux aussi sont aussi en guerre. Ils subissent, quelque soit leurs idées personnelles face au conflit et à « l’ennemi », ils sont fréquemment contraints à l’engagement, la haine, la colère et le désir de vengeance font leur nid, progressivement ou violemment. Ainsi, les deux mondes à échelle humaine ne sont pas si éloignés et pourtant la guerre semble sans fin…

 

A : On parle toujours à propos de ce roman du conflit américano-irakien, j’aimerais que tu abordes l’autre sujet majeur de Chronique, l’amour.

L : En vérité, l’amour est peut-être le vrai sujet du livre. L’amour dans tous ses états : amour passion entre une jeune fille et un jeune homme qui va jusqu’au sacrifice de part et d’autre, amour filial, amour déçu, amour espéré, amour du pays, des compagnons, de la liberté… L’amour qui conduit à choisir la mauvaise voie, celle de la vengeance ou celle du déni. Avec la force, on n’arrête pas le mal, on le perpétue avait dit le père de Sohrab.

La plupart de mes personnages portent en eux un immense amour. Sohrab aime Naïm, son frère disparu, sa mère abattue, son père en lambeaux, elle finit même par ressentir une forme de passion coupable pour son ennemi.

Je cite Sohrab en exemple, mais il en est de même pour Naïm, pour Zhouar, pour Niko… Dans Chronique l’amour mène la ronde.

 

A : Peux-tu expliquer ton choix de structure ?

L : La pièce et le roman sont construits comme un puzzle tragique. Un entrecroisement de destins, on devine que les personnages ne trouveront pas la route parsemée de roses dont parle Naïm, route qui mène au bonheur. J’avais structuré la pièce comme un tryptique, un de retable. L’ensemble du tableau n’étant dévoilé qu’au moment où l’ouverture des panneaux latéraux libère le panneau central qui devient visible.
Seul le premier volet est évoqué dans Chronique. Les deuxième et troisième font l’objet d’un autre roman, une sorte de suite à Chronique des jours de cendre sous le titre Rumeurs du Mississippi édité Aux Forges de Vulcain et dont la sortie est prévue pour 2017.

Dans Chronique, j’ai travaillé sur une narration à deux voix qui se font écho sans le savoir. Cette construction rompt la monotonie et ne souligne pas tant des différences irréconciliables entre les peuples que des façons de résister à l’injonction générale et déshumanisante de la guerre.
Le choix de cette choralité autorise au narrateur une prise de distance. Sa voix vient en contre chant à celles des personnages.
J’ai choisi l’alternance des points de vue. Un chapitre relate l’histoire du point de vue de Sohrab et le suivant du point de vue de Niko Barnes, le soldat américain. Le lecteur (comme les personnages) se trouve par conséquent plongé au cœur du doute… celui qui ronge chacun des personnages. Il ne peut se forger aucune certitude qui ne soit remise en cause immédiatement.

On passe aussi du calendrier grégorien, et du calendrier hégirien qui oppose deux perceptions du temps et reflète l’antagonisme culturel de deux mondes en lutte. L’Irak qui sombre dans la régression au gré des conflits successifs, et l’Amérique archétype d’un Occident qui avance sans discernement avec ses certitudes en guise de viatique.

On pressent dès le départ que les personnages finiront par être broyés, en dépit des penchants individuels, parce que dans un tel conflit, la personne ne pèse rien et l’amour ne suffit pas à faire triompher l’individu sur le collectif. Mais on espère que la sagesse finira par l’emporter…un jour. Mes personnages ne sont pas des héros, ils ne sont que de simples mortels (ce mot prend tout son sens dans le contexte)

 

A : Chronique des jours de cendre est très dialogué, théâtral. Un reste de la pièce ?

L : Oui, les dialogues occupent une grande place dans le roman. Ils m’ont permis de doter les personnages d’une voix, d’un vocabulaire, d’un langage propre, d’une musique que le lecteur (j’espère) percevra. Il est vrai que je suis très à l’aise dans le dialogue alors c’est peut-être une facilité.

 

A : Dans la pièce Sohrab a grandi dans une famille musulmane peu cultivée et dans le roman elle est issue d’un milieu chrétien orthodoxe, un père chercheur, virologiste. Pourquoi ce changement ?

L : Ce choix m’a permis d’éviter les clichés sur la femme musulmane, de montrer que la population Irakienne était plurielle, éduquée ou tribale. Et de mettre en situation des scènes qui démontrent la montée de l’islamisme politique, intolérance vis-à-vis des mariages mixtes, ghettoïsation des courants religieux. Une vision prémonitoire du sectarisme barbare qui s’est abattu sur le pays avec l’émergence de Daesh, courant radical Sunnite .

 

A : Considères-tu Chronique comme un roman difficile ?

L : Difficile non, c’est un roman accessible. Sa dureté viens du contexte, mais ce n’est pas le roman qui est dur, c’est la vie, également la littérature qui passe cette vie au prisme du style. Un des metteurs en scène avec qui j’ai travaillé, Jacques Hadjage, disait qu’on ne fait pas du théâtre avec des bons sentiments. Le théâtre est un cri. C’est pareil pour l’écriture romanesque. Chronique des jours de cendre répond à cet impératif de dire le monde sans fard dans sa cruauté, son absence de résilience. Mais, les lecteurs ne doivent pas avoir peur, ils peuvent y découvrir de belles choses, pas seulement de la violence.

 

A : As-tu été influencée par des auteurs, des lectures au cours de ton écriture.

L : Naturellement, je suis le produit de mes lectures. Autour de moi, comme des amis fidèles, les auteurs qui m’accompagnent depuis longtemps dans mes réflexions et qui constituent les points fixes de mon ciel. Ils m’aident trouver des réponses – pas toujours – aux questions qui me traversent.

Pour Chronique, en dehors des lectures documentaires, je citerai Shakespeare, la tragédie d’Hamlet, vengeur de son père au mépris de sa vie et de son amour pour Ophélie. Corneille, le Cid, venger l’honneur au péril de l’amour. L’Antigone de Sophocle. La généalogie de la morale de Nietzsche, ressentiment des esclaves, aussi l’idée que chaque homme a besoin d’une connaissance de son passé pour se construire. Le voyage au bout de la nuit de Céline. Chez les écrivains américains, il y a Chomsky et son analyse du discours politique. John Steinbeck bien sûr, dont le roman Les raisins de la colère, constitue le livre de chevet du sergent Barnes, Hemingway. Mais aussi Yasmina Khadra, Boualem Sansal, le poète kurde Habas Haghighi et bien d’autres.

 

A : Tu as publié plusieurs pièces de théâtre, des nouvelles et Chroniques est ton deuxième roman. Que représentent pour toi ces différents types d’écriture ?

L : L’écriture qu’elle soit destinée à être interprétée ou à être lue est une façon de parler du monde. Il n’y a aucune incohérence à passer d’un genre à l’autre. Le roman est plus difficile à aborder parce qu’il nécessite un travail sur la durée, encore que parfois une pièce prenne aussi du temps à émerger. J’aime beaucoup le travail de fond que le roman exige, cette persévérance qui est une de mes qualités y trouve son compte.
Un fil conducteur traverse mes livres et pièces, c’est la question des choix existentiels. Je cherche à comprendre ce qui maintient le fragile équilibre de nos vies sur le fil étroit de la raison. Et ce qui m’intéresse particulièrement, ce sont ces instants précis où il est encore possible de faire demi-tour mais au-delà desquels l’existence basculera du mauvais côté.

 

A : Des projets ?

L : A la pelle !