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Le bréviaire des forges, principe premier.

“Never doubt that a small group of thoughtful, committed citizens can change the world ; indeed, it’s the only thing that ever has.” Margaret Mead (1901-1978)

Premier principe [2]. Une maison d’édition ne peut être qu’une maison d’édition. Elle doit être un outil pour une fin plus grande, plus haute, pour une œuvre plus noble : la réforme du monde. Les textes d’une maison doivent être les pièces du dispositif qu’elle met en place pour modifier la figure du monde.

Cette affirmation requiert une ferveur certaine. Or nous nous sommes habitués à penser que nous ne pouvons rien faire seuls, que le changement doit venir de la majorité des hommes. Nous avons ainsi fabriqué notre impuissance. Et, en défendant la nécessité de la majorité, nous avons affirmé la nécessité de notre impuissance – l’impuissance de l’individu isolé. Mais un individu isolé, s’il ne peut pas tout, peut beaucoup – et il peut chercher et trouver ceux qui lui ressemblent et qui se grouperont avec lui.

Car tout commence par un petit groupe. Et il faut que les éléments de ce petit groupe partagent un goût commun pour la pensée et l’engagement. Car la pensée ne se peut dissocier de l’engagement. Celui qui pense doit nécessairement renoncer à livrer à la société ce qu’elle veut. Il doit penser, quel que soit l’accueil que ses pensées recevront. Il s’individualise. Ce geste l’isole de la société, et peut même lui créer quelques ennemis. Mais ce geste lui créera au moins autant d’amis, qui reconnaîtront dans son élan, dans son souci de ne se fier qu’à lui-même, le devoir de chaque personne. Et lui reconnaîtra en eux, qui sont aussi engagés dans cette poursuite de leur individualisme, ses égaux. Ralph Waldo Emerson écrit ainsi dans « L’amitié » :

« Un espoir sublime continue pourtant de réconforter le cœur fidèle : ailleurs, dans d’autres régions du pouvoir universel, il est, dès à présent, des âmes qui agissent, souffrent et osent, qui peuvent nous aimer et que nous pouvons aimer. »

L’association est le contrat explicite et volontaire passé entre ces égaux. Leur association s’oppose à toute vassalité. La vassalité, c’est ce geste d’abdication, ce geste de renoncement à toute liberté sociale, qui tente chacun à ce moment précis, où il lui est permis de décider ce qu’il fera de son existence, à quoi il la consacrera. Car chacun est mis, au moment de prendre sa place dans le monde, face à ce choix : doit-il regarder ceux qui ont le pouvoir et adopter leurs manières, leurs coutumes, leurs usages ? – ou doit-il accepter d’imposer sa propre règle ?

Partir dans une aventure, s’associer avec d’autres, avec ses égaux, et non avec ses maîtres, car on ne peut s’associer avec un maître ou un esclave, est un choix qui implique une confiance en soi infinie, et impose une humilité tenace. Car les débuts sont toujours petits. Et les assis, ceux qui ne savent se dresser pour tenir, pour marcher et avancer par leurs seules forces, vous diront que le réalisme exige de plier, exige de faire comme font ceux qui ont le pouvoir. Mais ce n’est pas le réalisme qui les guide, c’est la vanité et le cynisme. Ils ne voient pas que ceux qu’ils admirent, et veulent copier, n’ont pas copié leurs maîtres, mais se sont élancés. L’illusion de perspective les trompe. Il ne faut pas regarder le passé avec les yeux du présent, mais retrouver le regard que lançaient ceux du passé vers leur avenir – notre présent.

Il faut s’associer entre nous, entre égaux. Et s’élancer. Et cesser de douter. Pour cesser de douter, un mot d’ordre, une citation, doit être gravée dans l’œil intérieur de chacun, un serment qui scelle l’association :

« Ne doutez pas que le changement puisse venir d’un petit groupe de personnes, réfléchies et engagées – car ce n’est qu’ainsi que le changement arrive toujours. »

Les citations ne doivent pas se substituer à la pensée, mais elles doivent rappeler la vigueur d’une pensée, et muer cette pensée en principe d’action. Ces citations sont des croyances qui permettent l’action, qui permettent l’orientation dans le monde, qui permettent de transformer chaque circonstance que le monde nous impose en pièce du puzzle que nous assemblons, et qui représente une vision cohérente d’un autre monde, un monde à venir, vers lequel il faut marcher, avec dans le cœur cet instinct de réalisme qui mue tous les vrais idéalistes, ceux qui croient que les idéaux sont nés pour être réalisés, sur cette terre, et maintenant.